Le 23 février 1886, à Chalandray, Augustin Thomas, 31 ans, épouse la jeune Célestine Garnier, 19 ans. Elle est la dernière fille de Jean Louis Garnier et Céleste Pain, qui possèdent les terres qu’ils exploitent à la Bourie, le long de la Vendelogne. Jean Louis, le père, n’a pas eu de fils survivant.
Jean Louis Garnier a donc besoin de gendres pour exploiter ses terres et prendre sa suite. Marie Radegonde, née en 1860, a épousé Baptiste Mousseau et vit avec lui à la Bourie. La jeune Celestine, née du second mariage du père, va elle aussi épouser un jeune cultivateur, Augustin Thomas, qui vit et travaille avec ses parents dans le hameau le plus proche, à la Robinière.
Le jeune couple s’installe avec les beaux parents, à la Bourie.
Un premier fils, Théophile, nait dans la maison familiale le 23 février 1888. Quatre ans plus tard, le 6 avril 1892, un second fils, Gustave, voit le jour. L’épouse est jeune, mais en cette fin de 19ème siècle, même dans les campagnes, une ébauche de contrôle des naissances apparait dans les milieux les plus favorisés. Si tous les enfants arrivent à l’âge adulte, il va être difficile d’assurer l’avenir de tout le monde sur l’exploitation. Alors, on espace les naissances …..
Les deux frères grandissent avec leur cousine Berthe, la fille unique de Radegonde Garnier et Baptiste Mousseau , qui n’a que quelques années de plus qu’eux.
Et la vie s’écoule calmement dans cette fin de siècle. Les enfants vont probablement à l’école de Chalandray, où leur cousine issue de germain, Aurélie Thomas enseigne aux petites filles, pendant que son époux, Julien Gaultier, fait la classe aux petits garçons.
En 1903, la cousine Berthe se marie, à Ayron, et c’est désormais là qu’elle va vivre sur l’exploitation de ses beaux parents. Très clairement, les deux fils Thomas reprendront l’exploitation des terres du grand père Garnier à la Bourie.
Fin 1908 arrive l’époque du recensement militaire pour l’ainé, Théophile, un beau gaillard d’1m71 aux yeux bleux. Bon pour le service, il est affecté au 68ème régiment d’infanterie, au Blanc, où il arrive le 8 octobre 1909.
Il est promu caporal le 26 septembre 1910, et muni de son certificat de bonne conduite, il revient à la Bourie, dans la ferme familiale, à la fin de septembre 1911. Il y retrouve ses parents, son jeune frère Gustave, qui n’a pas encore l’âge de partir, et Constant Merigot, le jeune domestique qui vit avec eux.
Fin 1912, c’est au tour de Gustave Albéric Célestin, que dans la vie quotidienne on appelle Albert, de se présenter au recensement. Bien que plus petit que son frère – 1m61 seulement, moins que la moyenne de la classe d’âge dans le canton – il est bon pour le service et part en octobre 1913 pour le 90ème régiment d’infanterie, à Chateauroux.
Les hasards du recrutement ont fait que les deux frères servent dans les deux régiments formant la 33ème brigade d’infanterie, le 68ème et le 90ème régiments d’infanterie. Leurs parcours vont donc être parrallèles, leurs expériences similaires, leur sort plus lié que si l’un deux avait été versé dans un régiment caserné à Blois ou Poitiers.
La 33ème brigade d’infanterie appartient à la 17ème division d’infanterie – 9ème corps d’armée.
Quand la mobilisation est décrétée, Théodore, l’ainé, rejoint le Blanc le 3 août 1914.
Sur la carte ci-dessous, j’ai représenté le parcours des deux frères, depuis leur ferme à Chalandray jusqu’aux champs des Flandres où ils ont trouvé la mort.
La brigade embarque les 6 et 7 août en direction de la frontière Est, vers Nançy.
Dans un premier temps, la brigade participe à la défense de Nancy, puis s’embarque les 19 et 20 août en direction de la Belgique.
Le 23 août, la brigade est engagée dans son premier combat d’importance, à Houdremont. Les ordres sont confus, l’artillerie ennemie fait des ravages, et les régiments perdent ce jour là un nombre important de soldats, morts, disparus ou blessés.
Le repli dit stratégique commence alors. Les armées se replient vers le sud, vers Paris, avec l’ennemi qui harcèle l’arrière garde. Le 30 août, c’est un nouvel engagement majeur qui attend la brigade à Bertoncourt. On continue à marches forcées vers le sud, vers la Marne jusqu’au 5 septembre. Ce jour là, la brigade se trouve à la Fère Champenoise. C’est là qu’arrive l’ordre de faire face, de reprendre l’offensive. La bataille de la Marne commence, et la brigade va participer pendant 5 jours, du 6 au 10 septembre, aux combats des marais de Saint Gond.
Les Allemands reculent, jusqu’à des positions qu’ils semblent avoir choisies pour fixer le front, autour de Prosnes. Le front s’enlise, les tranchées sont creusées. La 33ème brigade occupe une portion du front autour de Prosnes jusqu’au 19 octobre 1914.
Le 22 octobre, en train, puis en camion pour le dernier tronçon en Belgique, la brigade rejoint Ypres.
Le 23 octobre, la 17ème division à laquelle appartiennent le 68ème RI et le 90ème RI est portée sur Ypres et St Jean, avec le 68ème régiment d’infanterie en tête. En fin de matinée, les soldats sont mis en formation de combat au nord ouest de la route Saint Jean – Passchendale, en direction de Fortuyn, puis de Wallemollen. On marche sous le feu de l’artillerie allemande. En fin de journée, enfin, on s’installe dans les tranchées creusées par les anglais, qui viennent d’être relevés.
Le 24, puis le 25, on reprend l’offensive, pour quelques mètres gagnés au prix de nombreuses vies.
C’est là, durant cette offensive, que vont tomber tout d’abort Albert, le plus jeune, le 24 octobre, à Fortuyn, puis le lendemain Théophile, le grand frère, le caporal, à Wallemollen.
En 24 heures, dans ces champs des Flandres, avec la mort de ces deux jeunes soldats, une famille entière est détruite.
Je n’ai pas encore retrouvé quand les parents de Théophile et d’Albert ont appris le décès de leurs enfants. Les ont ils appris le même jour, ou avec plusieurs semaines de décalage ? Les actes de décès n’ont été retranscrit qu’au début de l’année 1917 dans les registres d’état civil de Chalandray. Pendant combien de semaines ont ils attendu, espéré une lettre, prié dans la petite église de Chalandray pour le retour de leurs enfants, sans savoir qu’il était déjà trop tard ?
Dans le recensement de 1921, les époux Thomas, parents des deux jeunes soldats morts, habitent seuls dans leur maison à la Bourie. Trois nouvelles familles se sont installées dans le hameau, dont deux qui viennent des Deux Sèvres toutes proches. Les terres que les propriétaires ou les métayers ne peuvent plus cultiver, parce que leurs fils ne sont pas revenus, vont être affermées à de nouveaux arrivés, qui vont ainsi bénéficier de la situation.
- Théophile théodore Auguste Thomas
- Gustave Albéric Célestin Thomas
- Indre1418.com – un blog consacré aux régiments de l’Indre
- Les Armées françaises dans la Grande Guerre – tome X – 17ème division d’infanterie
- Mémoire des hommes – JMO de la 17ème division d’infanterie
- Mémoire des hommes – JMO de la 33ème brigade d’infanterie
PORQUET Frédérique says
Bonjour,
Merci pour votre enquête qui confirme les informations que j’ai trouvées dans les archives sur ces deux frères qui sont de lointains aïeux (Radegonde Marie Joséphine Garnier, 1850-1927, est mon arrière-arrière grand-mère). Votre arbre généalogique m’a fait gagner du temps pour compléter le mien. Mon enquête a débuté en juillet 2017 à la suite d’un accident qui a détruit une partie du mur du cimetière de Chalandray et abîmé la tombe des parents de ces deux frères. Sur celle-ci est indiquée une fausse date de décès pour le plus jeune ! Pour la petite histoire, c’est ma grand-mère qui a hérité de la maison de la Bourie lorsque leur mère est décédée en 1948. En 2017, nous avons retrouvé dans le grenier une plaque avec leurs photos certainement destinée au cimetière. Elle comporte la même erreur pour Albert, annoncé mort dans la Marne le 8 septembre 1914. Ma grande tante avait conservé le carnet que Théophile a tenu du 8 août au 24 octobre 1914, veille de sa mort. Je l’ai découvert avec beaucoup d’émotion il y a un peu plus de deux ans. Il est très détaillé sur son itinéraire, son « ouverture du feu », la bataille de la Marne et bien sur les derniers jours en Belgique. Il y raconte une rencontre avec son frère à la mi-août. En octobre, il apprend qu’Albert a été blessé le 8 septembre dans la Marne (d’où l’erreur sur la plaque ?) mais je n’ai trouvé aucune trace de son hospitalisation. Il meurt sans nouvelles de lui, ignorant qu’il a lui-même disparu à quelques kilomètres de lui, la veille. Par le mot de l’un de ses camarades, nous avons plus de détails sur le décès de Théophile vers 11 heures, le 25 octobre 1914 à Wallemolen. Je poursuis mes recherches pour identifier le lieu où reposent leurs corps. Je suis professeure d’histoire-géographie et j’utilise maintenant cette histoire familiale dans mes cours de première.
J’aurais dû vous remercier plus tôt pour tout ce travail sur les frères Thomas mais également sur les autres Poilus de Chalandray.
Brigitte says
Merci de ce message, c’est un vrai plaisir d’avoir ce genre de retour
Je vous contacte par mail
Fred Coussay says
Merci Brigitte, toujours passionnant et tellement émouvant.
J’ai fait les liens vers l’article pour les deux frères THOMAS sur le site des poilus de la Vienne.